L’association Bellastock œuvre pour une architecture qui accueille l’expérimentation à tous les niveaux. Depuis la commande, avec une gouvernance partagée sur toute la mécanique du projet, jusqu’à la réalisation d’œuvres « hors-normes », en chantier ouvert.
Le réemploi de matériau1 est un de nos grands axes de recherche et d’expertise avec la ville envisagée comme une carrière à ciel ouvert. Nous pouvons y puiser les ressources humaines et matérielles nécessaires à son propre renouvellement urbain, en alternative à la crise de la matière première.
Si l’exposition “Matière Grise” a mis en lumière que nous coulons dans le monde, toutes les 15 secondes, une piscine olympique de béton, et que 90% de nos plages pourraient être menacées à échéance 2035, pourquoi ne pas intégrer dès aujourd’hui de larges morceaux de béton de seconde vie dans nos gros-œuvres ?
Les 2/3 des déchets produits en France, soit 221 millions de tonnes (Chiffre Ademe 2010), sont du BTP – dont 37 millions de tonnes de déchets inertes et non dangereux pour le bâtiment. Voici le gisement potentiel de départ de nombreuses filières de réemploi à créer, où un matériau peut rester produit de construction. Il s’agit bien ici de ne pas tomber dans la règlementation de “responsabilité déchet” comme lorsqu’on part dans diverses filières de valorisation comme le recyclage (très énergivore au passage). Le premier réemploi, le plus noble et de bon sens, est sans doute la conservation de l’existant. Celui qui nous intéresse ici est celui qui s’opère avec un démantèlement soigneux du bâti. Avec ou sans détournement d’usage, l’objectif est de considérer une fenêtre pour son complexe vitre – menuiserie, et, selon ses performances et sa durabilité, la conserver en fenêtre ou l’intégrer dans un composant d’ouvrage aux caractéristiques moindres mais au débouché réel, comme une façade légère de serre urbaine ou de véranda.
Le réemploi pose la question de la construction « hors-norme » et bouscule l’art de bâtir, en se tournant vers des techniques rendus obsolètes justement par la norme (comme la construction en terre, ou encore en pierre sèche). Les actes de collecte, de préparation au réemploi, d’écoulement et de mise en œuvre s’inscrivent dans une logique territorialisée, et sont un véritable terreau d’emploi local. L’Ordif rappelle à ce sujet que pour traiter 10 000 tonnes de déchets il faut un ETP (équivalant temps plein) en incinération, 3 ETP en enfouissement, 31 ETP en centre de tri et 690 ETP en réemploi ! Un autre enjeu de taille est également sous-jacent au réemploi en architecture : il demande d’installer un lien de confiance technique particulier entre le commanditaire, le prescripteur et les opérateurs. Le pilotage de projet en est impacté, il se fera en coût global, avec une répartition des tâches moins linaire et des expertises à réaliser a posteriori, basées sur le retour d’expérience, pour « homologuer » un prototype en composant d’ouvrage. Pour s’inscrire dans un cadre assurantiel favorable, nous défrichons de nombreuses filières de réemploi, que nous espérons sous peu reproductibles « peu importe le gisement, peu importe le projet ». Anciens bois, béton, pierre naturelle, brique, terre, tuyauterie… pourraient trouver leur place dans de nouveaux lots de gros œuvre, voirie, façades, planchers, second œuvre. Pour accompagner la structuration des acteurs, notre programme de recherche REPAR (Ademe, Déchets BTP 2012 & 2014) fiabilisent les procédés de mise en œuvre et les systèmes constructifs pressentis en partenariat avec le Centre Technique du Bâtiment – sur la modélisation économique et technique.
Parmi nos projets démonstrateurs, nous pouvons en citer deux, qui reflètent les principaux objectifs de cette architecture du réemploi, et qui s’ancrent dans une dynamique d’économie circulaire : **Actlab et La Fabrique du Clos. **Actlab est un laboratoire manifeste de réemploi, construit en matériaux de seconde vie et organisé comme un équipement de chantier capable de mutualiser des services de réemploi pour tout le territoire de Plaine Commune. Actlab est au cœur de la Zac de l’éco-quartier fluvial de L’Île-Saint-Denis, il profite de l’opportunité de temps et d’espace de ce grand programme d’aménagement urbain pour tester des solutions en réemploi, pour les espaces publics, en lien avec l’aménageur, l’ensemblier d’AMO, la maîtrise d’œuvre. Les solutions sont nées de notre confrontation avec la matière collectée dans la friche industrielle qui a laissé la place à la Zac. Pour assurer les collectes de béton, de métal, de plastiques et de végétaux répertoriés, nous avons orchestré la déconstruction sélective des entrepôts Printemps qui occupaient le site. Ainsi, Actlab relève le défi de lier ce non-lieu flanqué de palissades opaques (le chantier) à la ville (l’habité), au travers une grande variété de dispositifs d’ouverture culturelle. Parmi eux, la recherche-action FACT produit, avec le CSTB, des résidences d’artistes sur Actlab. Ces artistes (performeurs, plasticiens, artisans) interviennent en réemploi avec des œuvres co-construites. Elles s’installent dans des espaces publics délaissés de la ville, ciblés par des promenades diagnostics participatives. Par ce biais, Actlab et Fact offrent un regard décalé sur la maîtrise d’œuvre urbaine et sur le grand paysage en mutation.
La Fabrique du Clos est une recyclerie en entrée du quartier du Clos Saint Lazare, à Stains, qui en est au début du Nouveau Programme National de Renouvellement Urbain. Cet ancien foncier vacant abrite la première filière de réemploi de béton en France, dans un cadre de démolition – reconstruction de l’ANRU. Cette filière en est à l’étape de la préfiguration, mais c’est déjà très concret. Plusieurs démolitions ont été transformées en déconstructions sélectives partielles et les bétons collectés, issus de voiles morcelés ou presqu’intègres, ont été stockés et valorisés dans la recyclerie, puis déclinés en muret, revêtement de sol et façade d’un local collectif. La connaissance de chaque étape opérationnelle de la filière béton est capitalisée, puis transmise à un opérateur local de l’insertion (la Régie de Quartier, qui sera gestionnaire des prémices de la Fabrique à l’horizon 2020), formé pour répondre aux futurs lots réemploi du renouvellement urbain du Clos. Toutes les expertises relatives aux compétences de maîtrise d’ouvrage et maîtrise d’œuvre pour commander et prescrire des solutions techniques en béton issus de démolition sont expérimentées, en premier lieu, par le bailleur -l’OPH 93- et Bellastock, avant d’être formulées dans des guides administratifs et techniques librement consultables par tous bailleurs inscrits dans cette démarche volontaire (téléchargement sur le site de l’incubateur du projet : le LabCDC).
Actlab et la Fabrique sont des démonstrateurs : ce sont des lieux construits et vivants, qui révèlent les quartiers alentours et font monter en compétences tous les acteurs d’un projet, de l’architecte à l’habitant, du nouvel opérateur dédié au réemploi aux services marchés de la maîtrise d’ouvrage. Ils démontrent en tout cas l’importance de bien connaitre le patrimoine du XXe siècle qui sera la ressource pour les bâtiments du XXIe siècle. C’est le premier moteur du réemploi, transformer l’histoire par une connaissance fine du cadre bâti d’aujourd’hui – et des usages de demain. Pour aller dans ce sens, la première étape d’une filière de réemploi est le diagnostic ressource. Mis en place par Bellastock en 2013 et qui n’a de cesse d’évoluer depuis, ses fondamentaux sont de trois ordres. Il s’agit d’abord d’évaluer les performances et la durabilité d’un gisement pressenti. Pour cela, on croise les informations obtenues par visite de site, dépouille d’archives et essais (en œuvre ou en laboratoire). Il convient ensuite de décider du domaine de réemploi visé. Nous utilisons un système maîtrisé d’arbre de décision qui met en balance des facteurs de risques environnementaux, économiques, techniques, humains et bien sûr architecturaux. Enfin, le diagnostic ressource vérifie la faisabilité logistique d’une filière de réemploi. Allons-nous pouvoir répondre à la nécessaire immobilisation de stock ? Allons-nous pouvoir connecter, par convention inter-chantier, le gisement décelé et le projet qui l’intègrera ? Quelles sont les garanties à apporter ? Y a-t-il le temps, l’espace, la connaissance de constructeurs locaux pour opérer ? Enfin et surtout, la volonté du maître d’ouvrage détenteur du projet permet-elle un dialogue ouvert avec son bureau de contrôle ?
Un autre moteur du réemploi est notre profond désir de réinventer notre rapport à la matière. La matérialité n’est pas que l’expression d’une forme, elle dialogue avec elle, loin de l’hylémorphisme. Utiliser la matière autrement, c’est ne pas partir d’une page blanche lorsque l’on est architecte, mais c’est accepter le capital matériel et humain du lieu comme point de départ de toute conception. Valoriser la matière, c’est donner une belle place à l’artisanat sur le chantier, en prouvant que l’on peut être non standard tout en conservant une approche industrielle et assurable. Pour « challenger » de la sorte le BTP, rien de mieux que de réinventer l’équipement de chantier. Cette structure inévitable de tout chantier doit gagner en nouveaux services, dédiés au réemploi, au bio sourcé, au géo sourcé : fabriquer, fournir et diffuser des produits de construction issues de ressources locales. Ainsi, des composants d’ouvrage évalués pourront y être réalisés en série, avec une répartition plus juste de la valeur ajoutée générée par les chantiers d’un territoire. En effet, chaque acte de collecte, de préparation, de mise en œuvre, peut être porté par des grappes de petites entreprises qui auront une gestion raisonnée et mutualisée de la matière au sein de l’équipement.
Nous sommes sur un acte technique, mais aussi philosophique et militant, car le réemploi, s’il est aujourd’hui théorisé et jugé indispensable au regard de l’urgence climatique, est né de la culture populaire et conserve une logique solidaire.
Depuis deux ans, on montre beaucoup le réemploi, qui s’inscrit dans une actualité politique favorable (Directive européenne, Plan National et Régionaux de gestion des déchets, Loi LCAP de 2016…). En effet, si l’on a conscience des freins qu’il reste à lever, le réemploi génère un bel enthousiasme par son bon sens et le changement de paradigme qu’il représente : un déchet est une ressource. Le but est de questionner notre pratique d’architecte. Comment faire avec ce que l’on a disposition, comment composer son projet avec du réemploi ? Peut-être qu’une piste de réflexion intéressante et de ne plus considérer le « dire d’expert », la norme, comme des faits indétournables. Il faut en comprendre le sens, les objectifs sous-jacents et les reformuler par l’expérimentation. L’expert est celui qui fait, qui teste et sécurise ensuite (et non pas en premier lieu). C’est le Test&Learn, méthode pédagogique qui entre doucement dans les écoles d’architecture. Nous l’enseignons dans et hors les murs. Par exemple, tous les ans, nous organisons un festival de constructions éphémères ouvert à tous, en lien avec les Ensa. C’est en juillet, et c’est une belle occasion de s’essayer au réemploi en condition réelle. A tout âge, n’hésitez pas à vous y inscrire !2
- Les historiens parlent de « remploi » (Guy Lambert par exemple intervient sur “l’historicité du remploi” à l’Ensapb). En tant que praticiens, nous parlons à Bellastock de « réemploi ». Car c’est ce terme qui est inscrit et défini dans les textes législatifs et réglementaires (comme le code de l’environnement), mais aussi dans les notes cadres sur le BTP de l’Ademe, du CSTB, et dans les descriptifs techniques de nombreux architectes. Chez Bellastock, nous aimons la co-existence de ces deux termes, choisis stratégiquement, comme un contre-pied à d’autres également définis comme la réutilisation ou le recyclage. ↩
- www.bellastock.com ↩